vie professionnelle

Des nouvelles de la négociation de la convention collective du cinéma

Le 19 janvier 2012, au terme de 7 années de négo­cia­tions, trois orga­ni­sa­tions syndicales CGT (SNTR, SGTIF, SFR), le SNTPCT et l’API ont signé un texte de convention collective de la production ciné­ma­to­gra­phique qui sera soumis à l’extension du ministère du Travail.

Cet accord s’applique d’ors-et-déjà sur les films produits par les sociétés membres de l’API (mais pas par les autres producteurs) et serait rendu obligatoire s’il venait à être étendu par le ministère.

Pour mémoire notre association s’est positionnée à plusieurs reprises sur le sujet depuis juin 2011 : voir le premier et le deuxième courrier au Ministre de la Culture co-​signés par plusieurs asso­cia­tions ainsi que le courrier « Demandes des monteurs associés aux partenaires sociaux » concernant notre branche.

Le texte signé est issu, après négociation, de la proposition faite par l’API, syndicat de « gros » producteurs (Gaumont, UGC, Pathé, MK2), proposition considérée comme la plus favorable par les syndicats de salariés. Les pro­po­si­tions faites par les autres syndicats de producteurs ayant été rejetées par le SNTPCT et le SNTR-​CGT.

Vous trouverez le texte définitif de cet accord en PDF, en marge de cet article. Voici un résumé des points principaux.

La durée du travail

La production ciné­ma­to­gra­phique se trouve actuel­le­ment en situation « illégale » du point de vue des durées de temps de travail sur les plateaux. En effet, si on décompte, comme on le devrait vis-​à-​vis de la loi, les heures de travail à partir de la convocation des techniciens sur le plateau, et non à partir du « prêt à tourner », on arrive à des durées heb­do­ma­daires tout à fait hors la loi (la durée légale maximum est de 48 heures).

Le texte conven­tion­nel découpe donc la durée de travail effectif (sur les tournages) en deux : la durée de travail collective et la durée de travail de préparation ou de rangement qui concernent certains salariés. Il prévoit de porter la durée heb­do­ma­daire à 60 heures maximum — dans des situations « excep­tion­nelles » — mais de rémunérer toutes les heures de travail effectif :

  • de la 36 ème à la 43 ème heure sup­plé­men­taire : majoration de 25 % du salaire horaire de base ;
  • de la 44 ème à la 48 ème heure sup­plé­men­taire : majoration de 50 % du salaire horaire de base ;
  • au-​delà de la 48 ème heure sup­plé­men­taire : majoration de 75 % du salaire horaire de base.

Un petit tour de passe-​passe cependant : les « durées d’équivalence ». Pour limiter l’augmentation des salaires, on prévoit pour certains postes « une durée d’heures de travail effectif et de temps d’inactivité qui n’est pas considéré comme une durée de travail effectif. » C’est-à-dire que certains techniciens de plateau seront payés 43 heures pour une durée de travail de 46 heures, considérant qu’ils ne « travaillent pas vraiment » tout le temps.

Ces dis­po­si­tions sur la durée du travail ne concernent pas « les périodes de préparation et de post-​production (qui) ne nécessitent pas une orga­ni­sa­tion de la durée du travail dérogeant au droit commun », donc nous, équipes de montage. Nous devrions donc travailler au maximum 48 heures par semaine et nous faire payer toutes nos heures sup­plé­men­taires au delà de la 35 ème.

Attention cependant pour les chefs monteurs à l’article suivant, qui légalise le forfait :

« Titre II, Article 31. Contrats établis sur une base forfaitaire
Pour les périodes de préparation et de post­pro­duc­tion, les techniciens dont les fonctions sont notamment : – le créateur de costumes, – le directeur de production, – le chef décorateur, – le directeur de la pho­to­gra­phie et le premier assistant à la dis­tri­bu­tion des rôles cinéma (ce dernier pouvant être engagé durant la période de tournage), et de manière générale tous les techniciens disposant d’une autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps qui ne les conduit pas durant ces périodes à suivre un horaire collectif de travail, dans la limite des dis­po­si­tions légales applicables, peuvent être engagés par accord entre les parties pour une durée du travail calculée en jours et excluant ainsi l’application des dis­po­si­tions légales et conven­tion­nelles relatives aux heures sup­plé­men­taires. »

Les définitions de fonctions et la grille des salaires

En ce qui concerne le montage :

Chef monteur cinéma – Cadre col­la­bo­ra­teur de création
Collaborateur de création, il donne au film sa construc­tion et son rythme par l’assemblage artistique et technique des images et des sons, dans l’esprit du scénario et sous la res­pon­sa­bi­lité du réalisateur. Il participe avec le réalisateur à la post-​production. Il est chargé, en col­la­bo­ra­tion avec le réalisateur, de veiller à la cohérence de l’espace sonore du film.

N.B. : attention, cette définition ambiguë ouvre la possibilité de ne pas engager le chef monteur au mixage. En effet une mani­pu­la­tion a tronqué la définition que LMA avait proposé et qui avait été acceptée lors de la négociation. Le texte stipulait : « Il participe avec le réalisateur à la post­pro­duc­tion, y compris au mixage. Il est chargé, en col­la­bo­ra­tion avec le réalisateur, de veiller à la cohérence de l’espace sonore du film, et est appelé à ce titre à donner des indications au mixeur durant le mixage. »

Chef monteur son cinéma – Cadre
Pour le cas où l’équipe de montage Cinéma n’assurerait pas conjoin­te­ment le montage de l’image et du son, le Chef monteur son est chargé, en col­la­bo­ra­tion avec le Réalisateur et en lien avec le Chef monteur cinéma, de donner sa cohérence et son rythme à l’espace sonore du film. Durant le mixage, il est appelé à donner des indications au mixeur.

Premier assistant monteur cinéma – Non cadre
Il assiste le chef monteur pendant la durée des travaux liés au montage et sous sa res­pon­sa­bi­lité assure le suivi des différentes étapes du montage : orga­ni­sa­tion et préparation du travail, gestion des matériaux images et sons, dialogue avec les industries techniques et travail avec les différents inter­ve­nants (bruitage, post-​synchronisation…).

Deuxième assistant monteur cinéma – Non cadre
Sous la res­pon­sa­bi­lité du chef monteur et sous la direction du Premier assistant monteur Cinéma, il est chargé d’exécuter des tâches simples liées au montage​.Il ne peut être recouru à un Deuxième assistant monteur cinéma sans que le poste de Premier assistant monteur cinéma soit pourvu ; il peut cependant être engagé pour une durée de travail distincte de celle du premier assistant monteur cinéma.

Le chef monteur monte donc d’un « cran » et devient cadre col­la­bo­ra­teur de création, mais cela n’entraîne pas pour autant le changement de clas­si­fi­ca­tion des autres membres de l’équipe. En ce qui concerne les salaires, seul le salaire du chef monteur est ré-​évalué à 1616,63 €, soit + 13 %, mais toujours inférieur à celui de l’ingénieur du son. Les autres salaires de l’équipe montage n’augmentent pas :

  • chef monteur son cinéma : 1 429,72 € ;
  • premier assistant monteur cinéma : 974,23 € (soit un salaire équivalent au 2ème assistant opérateur) ;
  • deuxième assistant monteur cinéma : 466,30 €.
    (Salaires minima conven­tion­nels pour 39 heures valables jusqu’au 1er janvier 2012.)

La grille de salaires dérogatoire pour les films « sous-​financés »

Un régime dérogatoire et temporaire — pour une durée maximale de 5 ans (donc jusqu’au 19 janvier 2017) — est prévue pour les films dits « de la diversité », c’est-à-dire sous-​financés.

Les producteurs de films remplissant certaines conditions définies dans la convention (cf. ci-​dessous) pour des films au budget pré­vi­sion­nel inférieur à 2,5 M € et qui estiment ne pas pouvoir rémunérer les techniciens au salaire minimum conven­tion­nel, pourront demander une dérogation. S’ils l’obtiennent ils pourront appliquer une deuxième grille de salaire, avec une partie du salaire garantie et une autre soumise à inté­res­se­ment (sur les bénéfices éventuels faits par le producteur…).

L’examen des demandes de dérogation sera effectué par une commission paritaire (cf. Titre II, annexe III, article 1). Un maximum de 20 % des films produits dans l’année pourraient bénéficier de cette dérogation.

Cette période de cinq ans doit pouvoir permettre aux différents partenaires de trouver des solutions au sous-​financement d’une partie du cinéma français, ou/​et de mettre en place un dispositif de mutua­li­sa­tion qui permette de payer des salaires « normaux » à tous les techniciens.

Nous aurions souhaité que la création temporaire de la grille dérogatoire soit condi­tion­née à la création de ce dispositif de mutua­li­sa­tion, mais le rapport de force ne nous a pas été favorable : absence totale de réponse du ministre de la Culture malgré plusieurs relances, peu d’empressement de l’API à mutualiser ou à accepter des taxes sur les confiseries vendues dans les salles de cinéma (ils sont producteurs/​distributeurs/​exploitants), pro­po­si­tions des autres syndicats de producteurs d’une grille dérogatoire sans limite de durée et avec des salaires encore inférieurs.

Pour ce qui concerne le montage, les salaires minima garantis (déro­ga­toires) proposés sont les suivants :

  • chef monteur : 1009,99 €, soit − 38 % par rapport à la grille 1 ;
  • chef monteur son : 953,92 €, soit − 33 % ;
  • 1er assistant monteur : 817,27 €, soit − 16 % ;
  • 2eme assistant : salaire non touché car inférieur à 750 €.

L’intéressement éventuel allant jusqu’à 2 fois la différence entre le salaire perçu et le minimum conven­tion­nel de la grille 1. (Salaires minima conven­tion­nels pour 39 heures valables jusqu’au 1er janvier 2012.)

Cette disposition est bien peu satis­fai­sante, notamment pour les équipes de montage dont les salaires sont déjà sous-​évalués et qui ne béné­fi­cie­ront pas des « avantages » de la prise en compte (nouvelle et organisée) des heures de travail « effectif » comme au tournage (les monteurs doivent prendre l’habitude d’exiger les paiement de leurs heures sup­plé­men­taires !).

Néanmoins, nous pensons qu’il est illusoire d’évacuer de la discussion le problème des films sous-​financés et que cette nouvelle convention collective, qui — enfin — pourrait être étendue et donc faire force de loi, permettra le paiement effectif des minima conven­tion­nels et de toutes les heures de travail sur la majorité des films, ce qui est loin d’être le cas actuel­le­ment. Nous savons aussi qu’en conséquence la masse salariale des techniciens dans le budget des films augmentera et qu’une catégorie de films (les moins formatés, ceux dont l’ambition, et/​ou le propos, la forme… ne conviennent pas aux financeurs que sont les principales chaines de TV et les groupes de gros distributeurs/​exploitants/​vendeurs) vont se trouver dans une impasse.

C’est pourquoi nous devons, quoi qu’il arrive, continuer à nous battre pour la reva­lo­ri­sa­tion de notre branche, le montage, et aussi pour obtenir la création d’un dispositif de mutua­li­sa­tion afin de défendre à la fois nos emplois et la diversité des œuvres.

Conditions à remplir pour prétendre à dérogation

« L’intéressement aux recettes d’exploitation consiste en l’attribution d’une par­ti­ci­pa­tion aux « recettes nettes producteur » d’un film qui remplit les critères cumulatifs suivants :
• le budget pré­vi­sion­nel est inférieur à 2,5M €
• la masse salariale effective brute des personnels techniques est au moins égale à 18 % du budget pré­vi­sion­nel du film
• la masse salariale effective brute des personnels techniques (hors rému­né­ra­tion du réalisateur technicien) représente au moins 80% d’un poste regroupant les rému­né­ra­tions brutes des auteurs, producteurs et titulaires des rôles principaux, ainsi que les commissions d’agents telles qu’elles sont prévues dans le budget pré­vi­sion­nel. »

Les courts-​métrages et les films docu­men­taires de plus de 1,5M € sont exclus.

Pour l’application de la présente annexe, les partenaires sociaux décident de la mise en place d’une commission paritaire.

Cette commission paritaire se dotera d’un règlement intérieur.

Cette commission a pour charge d’examiner, préa­la­ble­ment aux demandes d’agrément fixées par le code du cinéma et de l’image animée, les demandes des entreprises de production qui sou­hai­te­raient recourir pour les productions de leurs films à la présente annexe.

Cette commission, présidée par un repré­sen­tant du Président du CNC et composée à part égale de repré­sen­tants désignés par les orga­ni­sa­tions syndicales de salariés repré­sen­ta­tives dans la branche, et des orga­ni­sa­tions d’employeurs de la production ciné­ma­to­gra­phique, est chargée d’examiner le dossier détaillé soumis par le producteur et, au regard de ce dossier, décidera d’admettre ou non la production du film au bénéfice de la présente annexe.

La commission fera parvenir au CNC sa décision d’acceptation ou de refus.

Dans le cas d’une décision négative de la part de la commission, le CNC est tenu à cette décision.

Le producteur ne peut passer outre cette décision conven­tion­nelle et présenter valablement au CNC une demande d’agrément au bénéfice du soutien financier de l’Etat.

La commission paritaire se réunira annuel­le­ment afin d’établir un bilan. Les partenaires sociaux conviennent de tirer un bilan annuel du dispositif afin qu’en moyenne annuelle seuls 20 % des films d’initiative française entrant dans le seuil défini ci-​dessus puissent être éligibles au dispositif prévu à la présente annexe. »