entretiens

Entretien avec Marion Dartigues pour « Amour fou »

Clotilde Hesme dans « Amour fou » © Caroline Dubois
Clotilde Hesme dans « Amour fou » © Caroline Dubois

Synopsis : Rebecca et Romain, bourgeois de province, forment un couple en apparence heureux jusqu’à ce que le frère de Romain, Mickaël, un marginal, s’installe en face de chez eux avec sa compagne Émilie. Une nuit, après un dîner houleux entre les deux couples, Rebecca et Romain surprennent Mickaël chargeant péniblement un tapis roulé dans le coffre de sa voiture. Le lendemain, ils réalisent qu’Émilie a disparu…

Quel est ton parcours ?

J’ai eu l’opportunité, adolescente, de m’exercer au montage grâce au matériel (table Interciné puis Avid Film Composer) de mon père, monteur et réalisateur, qui travaille « à la maison ». Ma première col­la­bo­ra­tion avec Mathias Gokalp date de cette époque. Je n’ai pas fait d’études de cinéma mais des études de psychologie (très utiles parfois pour les relations avec les réa­li­sa­teurs et les producteurs !) tout en suivant des conférences ou des rencontres sur le septième art, sans oublier la fré­quen­ta­tion assidue des salles obscures. J’ai ensuite rencontré Françoise Roux qui m’a prise comme assistante monteuse sur des téléfilms. Après quelques années d’assistanat, je suis devenue cheffe monteuse essen­tiel­le­ment sur des fictions télé mais aussi quelques docu­men­taires.

Dans quelles conditions matérielles s’est déroulé le montage de cette minisérie ?

Nous avons disposé de quatre semaines de montage par épisode, projections comprises. J’ai eu une assistante, Charlotte Audureau, 8 semaines sur les 12. Charlotte est venue quatre semaines en début de montage et quatre à la fin. Mathias Gokalp tourne à une seule caméra. Le découpage est précis et à part quelques scènes un peu compliquées, il ne fait pas plus de quatre ou cinq prises ; les temps de montage étaient donc adaptés au volume de rushes.

Mathias répète beaucoup avec les comédiens mais les laisse aussi très libres. Ainsi, pour la scène du repas des deux couples (premier épisode), il y avait trois plans fixes : un plan large (deux prises, dans mon souvenir) et deux moyens en champ/​contrechamp (trois prises chacun). Le jeu des comédiens (et les raccords !) variaient beaucoup d’une prise à l’autre. C’est la séquence qui m’a demandé le plus de temps : il a fallu trouver un rythme, une atmosphère, raccorder les différentes humeurs mais aussi exploiter au maximum les pro­po­si­tions des comédiens. La scène de la gifle était sur le même modèle et comme ce sont deux séquences-​pivots, nous sommes revenus dessus à plusieurs reprises.

J’ai fait les trois ours sans Mathias, puis nous avons travaillé sur les épisodes dans l’ordre et enfin sur la série dans sa globalité. Le producteur, très investi et bien­veillant, venait régu­liè­re­ment en visionnage. Comme la construc­tion de la série est assez complexe (avec beaucoup de sauts dans le temps), nous avons fait plusieurs projections-​tests avec des proches pour s’assurer que l’on ne perdait pas le fil du récit. Nous avons aussi pu avoir des périodes de recul en laissant de côté un épisode quelques jours pour y revenir ensuite.

Le découpage des épisodes est-​il fidèle au scénario ?

Le découpage des épisodes est fidèle au scénario car l’écriture sur ce point était « verrouillée ». Nous avons évoqué l’idée de laisser plus de suspense à la fin de l’épisode 1 en coupant la scène où Rebecca (Clotilde Hesme) rejoint Émilie (Majda Abdelmalek), mais comme l’épisode 2 commence par un long flashback avec Rebecca enfant, c’était impossible. Idem pour la fin de l’épisode 2, puisque l’épisode 3 prend place plusieurs années après. De mémoire, nous n’avons déplacé aucune séquence.

Quels ont été les enjeux du montage ?

L’enjeu principal du montage a été le travail sur Rebecca. Dans mes choix de prises initiaux, j’avais privilégié un jeu doux, lumineux, amoureux ; mon but étant que l’on aime ce personnage malgré sa cruauté. Ça marchait plutôt bien sur le premier épisode mais lors des séquences avec Emilie dans le second, ça ne fonc­tion­nait plus : si Rebecca est amoureuse d’Emilie comme de Romain (Jérémie Rénier), elle devient « floue », flotte entre ces deux relations, alors que c’est une femme forte, cal­cu­la­trice, qui manipule les êtres et qui ment sur tout, sauf sur son amour pour Romain. Du point de vue de Rebecca, c’est une histoire simple, une histoire d’amour contre­car­rée par les accidents de la vie. Les obstacles qu’elle rencontre (l’accident de ses parents, le frère, le désir d’enfant) elle les résout d’une manière primaire, presque animale.

La difficulté est que, comme l’histoire n’est pas racontée de manière linéaire, la simplicité des émotions qui devraient découler logiquement les unes des autres se retrouve brouillée. L’enjeu du montage a donc été d’être avec Rebecca à l’instant T tout en laissant affleurer la complexité du personnage pour faire ressentir au spectateur un léger malaise. Elle apparaît ainsi comme « une admirable folle ». La palette de jeux proposée par Clotilde Hesme dans les différentes prises, nous a donné le choix de construire un personnage complexe : douce et tendre, mani­pu­la­trice et menteuse, folle et cruelle. Nous avons passé beaucoup de temps à doser ces éléments pour qu’elle soit tout cela à la fois.

Quel a été le travail sur la musique ?

Mathias a travaillé en amont du montage avec le compositeur Flemming Nordkrog avec lequel il avait collaboré pour Rien de personnel, son premier long métrage. Lorsque j’ai commencé à monter, j’avais trois thèmes et quelques variations. Une des musiques était clairement attribuée à Rebecca (ce sont les cordes qui accom­pagnent les visites médicales), les autres étaient des morceaux de suspense et d’action. Comme c’est une musique orchestrale, elle prend beaucoup de place à l’image et il faut être convaincu par le montage avant de la poser car elle peut « enterrer » certaines intentions.

Pour le début de l’épisode 1 (le cauchemar de Rebecca), j’avais fait un montage des morceaux et variations que j’avais pour accompagner l’image. Nous l’avons envoyé à Flemming qui a travaillé de manière très précise les différents passages. Comme ces premières séquences sont toujours très importantes, nous avons fait des allers-​retours avec lui dès que nous changions un point de montage. Par la suite, nous lui avons demandé un thème pour Émilie et un autre pour Romain. Il a été d’une grande réactivité et nous avons projeté les épisodes à Arte avec la musique quasi définitive. Au final, il y a beaucoup de musiques dans la série mais Carole Verner la monteuse son, a su l’intégrer à son travail pour créer une bande son en harmonie.

Propos recueillis par Thaddée Bertrand
 
 

« Amour fou »

Réalisation : Mathias Gokalp
Montage : Marion Dartigues (LMA)
Assistanat montage : Charlotte Audureau (LMA)
Montage des directs : Corvo Lepesant-​Lamari
Montage son : Carole Verner
Musique originale : Flemming Nordkrog
Mixage : Laure Arto

Prix de la meilleure série, du meilleur scénario et de la meilleure inter­pré­ta­tion féminine pour Clotilde Hesme au Festival de Luchon

Diffusion sur arte​.tv jusqu’au 20 mars 2020