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Entretien avec Tania Goldenberg et Josiane Zardoya pour « Tant qu’ils ne retrouvent pas le corps »

Agnès Le Roux (archive super 8) © Rectangle productions
Agnès Le Roux (archive super 8) © Rectangle productions

Passionnée de cinéma, d’arts visuels et de spectacles vivants, Tania Goldenberg est monteuse depuis 28 ans. Elle allie une réactivité et une efficacité inspirées par ses premières années dans les magazines d’actualité et un tropisme de longue date pour le cinéma d’auteur qui l’a conduite à monter des films reconnus à l’international. Ces dernières années, elle a collaboré avec Rémi Lainé, Mosco Lévi Boucault, Anne Georget, et der­niè­re­ment avec Louis Hanquet pour Un pasteur (Grand prix Fipadoc 2024). Parallèlement à son métier de cheffe monteuse, elle a réalisé des films aux accents très personnels dont Warhol, un prophète américain, Quand les ados se soignent en famille ou Autour de Vegas 76.

Josiane Zardoya commence le montage au début des années 90 en tant qu’assistante sur des longs métrages et monteuse sur des courts. Elle monte son premier long métrage en 1998, Plus qu’hier, moins que demain de Laurent Achard. Travaille en fiction et en docu­men­taire, et monte ces dernières années les docu­men­taires de Julie Bercuccelli (La Cour de Babel ; Dernières nouvelles du cosmos ; L’Odyssée des enfants d’ULIS ), de Rémi Lainé (Khmers Rouges, une simple question de justice ; Devenir instit), de Feriel Ben Mahmoud (Un féminisme dans le monde arabe ; Divas, d’Oum Kalthoum à Dalida), de Callisto Mac Nulty (Delphine et Carole, insoumuse)…

Qu’est-ce que vous saviez de l’affaire Le Roux-​Agnelet avant de commencer le montage ?

Joziane Zardoya : Je connaissais assez vaguement cette histoire, une des plus longues affaires judiciaires françaises : la disparition d’Agnès le Roux a eu lieu en 1977, le dernier procès en 2014. L’affaire a duré 37 ans ! Une histoire très romanesque : l’amour, l’argent, la mafia, une riche héritière, un casino, la ville de Nice… Et un secret trop longtemps gardé ! 

Trois procès ont eu lieu : le premier se terminant par un acquit­te­ment, le second par 20 ans de réclusion avec les mêmes éléments, excep­tion­nel ! Ensuite il y a eu un recours auprès de la Cour européenne des droits de l’Homme et la condam­na­tion à 20 ans a été annulée, donc un troisième procès, ce dernier a connu un surprenant retour­ne­ment de situation…

L’affaire Agnelet-​Leroux met en perspective les années 89 – 90. Le personnage de Maurice Agnelet est marqué par le tournant d’une époque : il était avocat, franc-​maçon, président de la Ligue des droits de l’Homme de Nice… Il se pensait intouchable. C’est par exemple dans cette affaire que pour la première fois un cabinet d’avocat a été per­qui­si­tionné en France. C’était impensable à l’époque, les cabinets d’avocats étaient des sanctuaires ! L’époque avait changé et Agnelet ne s’en était pas aperçu, il ne l’avait pas mesuré. Il va se faire rattraper.

Tania Goldenberg : J’avais déjà monté une émission dessus en 2004, donc je connaissais bien l’histoire et les archives disponibles jusqu’en 2004 mais ensuite je n’avais plus suivi l’affaire. C’était donc un beau challenge de revisiter cette histoire d’un autre point de vue, celui du fils de l’accusé, Guillaume Agnelet. C’est rarement le cas, on reste souvent du côté de la victime. Cette lecture de l’affaire vue d’un autre angle était pas­sion­nante.

Le projet a toujours été de faire un docu­men­taire en trois épisodes ? Quel était l’axe du film et les choix de mise-​en-​scène au départ ?

J.Z. : Dès le départ il était question de faire une mini-​série en se basant sur le livre de Pascale Robert-​Diard, la Déposition. Le livre suit le parcours de Guillaume, l’un des fils de Maurice Agnelet, celui qui dénonce son père au cours du troisième procès. Guillaume est à la fois celui qui a le plus soutenu son père et celui qui fait basculer l’histoire à la fin. Pascale Robert-​Diard est créditée comme auteure du film, elle a participé à certains tournages et a assisté aux projections de fin de montage. Elle est partie prenante du film.

L’intention de départ du réalisateur, Rémi Lainé, était de faire un film autour de la vérité. Qu’est-ce que la vérité ? La vérité de la famille Leroux ? Celles, opposées, des deux fils de Maurice Agnelet ? La vérité judiciaire ? De fait, c’est toujours cette dernière qui s’affirme à la fin. 

Il y a eu beaucoup de docu­men­taires et de reportages sur l’affaire Le Roux-​Agnelet et même un film d’André Téchiné, l’Homme qu’on aimait trop avec Guillaume Canet et Adèle Haenel, ainsi que récemment une série télévisée de fiction.

On était deux monteuses, avec Tania et Rémi Lainé, on avait un challenge, ne pas faire un film de plus, on voulait parler de cette affaire dif­fé­rem­ment.

Pour nous, le docu­men­taire devait être sans voix-​off, les interviews devaient raconter l’histoire. Le choix de Rémi était de n’interviewer « que » les pro­ta­go­nistes directs de l’histoire : les juges, les procureurs, les avocats impliqués dans les trois procès, et bien sûr les membres des deux familles. Il n’y a pas de paroles d’experts.

Interviewés aujourd’hui, les pro­ta­go­nistes ont pris un certain recul avec l’affaire, une grande distance, l’affaire est défi­ni­ti­ve­ment jugée, Maurice Agnelet est mort en janvier 2021, il n’y a plus d’enjeux personnels, plus de choses à défendre pour eux. Avec le temps leur parole est beaucoup plus libre.

Quand Julia Minkowski, avocate de la famille Leroux, raconte qu’elle s’est identifiée à Agnès (quand elle est arrivée sur l’affaire, elle avait le même âge qu’elle au moment de sa disparition), l’interview était chargée d’émotion, de souvenirs personnels. C’est cette justesse dans les souvenirs qui était recherchée dans les entretiens et que l’on a mis en valeur au montage.

De même lorsque Jean-​Charles Leroux, le frère d’Agnès, pleure en se souvenant du moment où, pendant le troisième procès, il a entendu et donc visualisé pour la première fois la façon dont sa sœur a été tuée. Tout d’un coup il se revoit vivre ce moment du procès où il avait été bouleversé à l’époque d’apprendre comment sa sœur avait été assassinée, Jusque-​là il s’agissait d’une disparition, personne ne savait comment elle était morte. 

On disposait d’éléments d’archives incroyables, des petits trésors. Par exemple les enre­gis­tre­ments audios de Maurice Agnelet. Il était très technophile et enre­gis­trait toutes ses conver­sa­tions et appels télé­pho­niques ! Il pensait que cela pourrait toujours lui servir pour « coincer » une personne ou une autre ! Ahurissant. Finalement ça s’est retourné contre lui. Ces enre­gis­tre­ments ont été produits au procès. On a par exemple cet appel d’Agnès à Maurice où la voix de la jeune femme est désespérée, on sent une femme amoureuse et malheureuse, entendre sa voix a été un grand moment d’émotion pendant le procès, elle était comme présente dans le prétoire… Ces enre­gis­tre­ments donnent en partie sa vérité au film, ça donne du corps à l’histoire.

On avait aussi, de façon plus classique, des archives d’époque, les JT des télés régionales et nationales qui avaient couvert les trois procès, utiles pour la narration des faits.

T.G. : La structure en trois épisodes était le projet de départ. La par­ti­cu­la­rité du livre de Pascale Robert Diard est de s’ancrer dans le regard de Guillaume Agnelet, c’était pour nous l’axe du film. C’est pour cette raison que les trois épisodes commencent par Guillaume, pour que le spectateur se souvienne d’où il regarde, par quel prisme. Nous avons distillé les infor­ma­tions relatives aux révélations de Guillaume au début de chaque épisode, c’était millimétré, il fallait maintenir le suspense, ne pas en dire trop tout en en disant assez pour donner envie de regarder la suite !

J’ai vu plusieurs reportages sur cette affaire, et on voit toujours les mêmes photos d’Agnès Le Roux. Ce sont des photos en noir et blanc, où elle ne sourit pas. Là j’ai été surprise de découvrir les films super 8 en couleur, ils la rendent présente, rayonnante, vivante, loin du personnage dépressif qu’on nous présente souvent.

J.Z. : Rémi Lainé, cherchait des photos de famille pour donner de la chair au film. Il savait par ailleurs qu’il existait des films super 8 d’Agnès filmés par sa famille avant la disparition. Le montage avait commencé depuis un bon moment quand la famille les a retrouvés et nous les a envoyés. Avant de les avoir, le montage patinait, il y avait un côté austère, on manquait d’images d’Agnès. Ces super 8 ont permis de façonner cette histoire, ils apportent de la lumière : on y voit Agnès en voyage en Afrique, elle est là, souriante, joyeuse, lumineuse. Ça apporte de l’émotion dans cette histoire très dure. Ces super 8 sont surtout présents au début de la série pour présenter Agnès, ils sont repris ensuite tout au long des différents épisodes en rappels émotionnels, images fugitives, on a parfois aussi utilisé des photos.

T.G. : L’histoire de ces archives est effec­ti­ve­ment incroyable. C’est vrai que nous patinions dans le montage, l’absence d’Agnès était un gros problème dans la narration. C’était un gros handicap. Rémi avait noué une très bonne relation avec son premier mari, Jean-​Pierre Hennequet qui n’apparaît pas dans le film, mais qui a été d’une aide précieuse. Ils se voyaient de temps en temps à Paris, pour parler d’Agnès, c’est un bon photographe et une fois la confiance établie, il a donné à Rémi de belles dia­po­si­tives, un premier pas. Rémi les apportait en montage et nous discutions… Il me semblait très probable, qu’à cette époque, il ait fait des super 8, nous insistions auprès de Rémi pour qu’il convainque Jean Pierre Hennequet de les chercher et de nous les confier.

Il vivait entre l’étranger et la campagne parisienne où étaient entreposés les cartons de son ancienne vie. Et un jour… il a retrouvé dans cette maison 33 bobines de 6 minutes étiquetées « Agnès »… Il n’avait rien pour les visionner ! Il a accepté de nous les envoyer. Nous avons donc reçu en salle de montage, dans une boîte à chaussures, ces bobines tant attendues. Les seules images existantes d’Agnès ! Nous étions extrêmement émus, conscients que personne dans la famille Le Roux ne les avait vues. Nous étions les premiers. Je me souviens avoir filmé Rémi ouvrant la boîte. Nous avions loué une visionneuse et pré­cau­tion­neu­se­ment… elle est apparue sur le mur blanc de la salle de montage. La première image que nous avons vue, c’était celle d’Agnès allongée sur la plage. C’était vraiment incroyable. Ensuite tout a changé dans la structure du film.

Ce qui est aussi étonnant quand on connait cette affaire, c’est le personnage de Guillaume, son rôle dans toute cette histoire.

J.Z. : Dès le début, le frère de Guillaume, Thomas Agnelet, a accepté de participer au docu­men­taire, d’être interviewé là où il habite, en Nouvelle Calédonie. Guillaume lui refusait de l’être, il l’avait trop été par le passé. Le tournage était très avancé et le dérushage également quand Guillaume a « enfin » donné son accord. Jusque-​là on n’en menait pas large, « comment monter la série sans le personnage principal ? », c’était la question que l’on se posait tous les trois tous les matins ! 

Nous avions, comme autre pépite, les cassettes vidéo que Guillaume avait tourné pour préparer son père au deuxième procès. Huit heures de rushes pendant lesquelles il dialoguait et inter­ro­geait son père. L’image vidéo VHS était de très mauvaise qualité, mais on voit Maurice Agnelet de près, on le voit fuyant, mani­pu­la­teur, se contre­di­sant, il profère parfois des choses horribles sur Agnès. C’était très impres­sion­nant. Ça nous mettait mal à l’aise, c’était vraiment glauque. On avait demandé les retrans­crip­tions de ces cassettes vidéo, et chose quand même rare, les personnes qui en ont été chargées n’arrivaient pas à aller au bout tellement ils/​elles trouvaient ça déprimant ! Les extraits vidéo montés dans le deuxième épisode sont très évocateurs de la per­son­na­lité de Maurice Agnelet, un être retors.

On avait en ligne de mire la notion de vérité, mais cette histoire parlait aussi de trahison, celle d’Agnès qui avait vendu ses parts du casino familial à l’ennemi mafieux, et celle de Guillaume qui avait dénoncé son père. L’interview de Thomas pointait des questions comme : « A-​t-​on le droit de trahir son père ? » Il dit dans les rushes : « mais enfin moi, si mon fils avait tué quelqu’un, je ne le dénoncerais pas ! ». Vertigineux. Thomas ne voulait pas que ça reste dans le film, on ne l’a donc pas monté, mais cela nous inter­ro­geait. Pour Thomas, Guillaume a trahi, mais pour Guillaume, dans sa logique, il s’agit de loyauté, loyauté par rapport à lui-​même et à sa morale. À un moment donné, il s’est trouvé détenteur d’un secret, et ce secret impliquait tellement de choses qu’il fallait, qu’il se devait de le révéler. Un chemin douloureux, il savait que ça déclen­che­rait une tourmente terrible dans sa famille. Rémi aime citer cette phrase de John le Carré qu’il a mis en exergue dans l’un de ses docu­men­taires : « Parfois il faut trahir pour rester loyal. »

Comment s’est passé ce montage à quatre mains ?

J.Z. : On avait toutes deux déjà travaillé avec Rémi Lainé sur des docu­men­taires différents. Nous avions notamment été voisines de salles de montage trois ans auparavant, Rémi montait alors deux docu­men­taires en parallèle.

Pour la série, on a commencé par monter chacune des blocs, par exemple le bloc de la famille d’Agnès, le bloc du troisième procès, etc. Par la suite, quand la structure s’est éclaircie, on s’est réparti les épisodes, en reprenant parfois ce que l’une ou l’autre avait monté pré­cé­dem­ment.

T.G. : Nous avons regardé tous les trois l’ensemble des rushes. Nous avons beaucoup parlé. Avant de trouver la structure, nous avons tout le temps échangé sur ce que nous faisions, sur ces blocs que nous montions en fonction des affinités de chacune. Et puis effec­ti­ve­ment quand la structure s’est éclaircie nous nous sommes attribués des épisodes mais, pour autant, le regard de l’une ou de l’autre nous garan­tis­sait la distance que nous perdons parfois à force d’être immergé dans un montage. C’était très précieux. Quand une chose changeait dans le premier épisode, cela avait des effets dominos sur les autres. C’était une expérience forte, et nous avons fait une belle équipe. 

La structure du film est très claire, l’histoire est facile à comprendre. Vous avez toujours utilisé cette structure chro­no­lo­gique ?

J.Z. : La structure du récit, on ne l’a pas trouvé tout de suite, loin de là ! On était partis sur une fausse bonne idée : démarrer le film par une « séquence chorale », une séquence avec tous les pro­ta­go­nistes. La série commençait donc par la fin, par le troisième procès, seul moment où tous les interviewés étaient là. C’était un bon début… mais ensuite on n’arrivait pas à raccrocher avec la chronologie de l’histoire. Quand au bout de plusieurs semaines, on a repris le film dans l’ordre chro­no­lo­gique, la narration s’est très rapidement mise en place.

Les trois épisodes se sont structurés pour le premier autour de la ville de Nice, de la mafia et des deux familles, puis des rapports entre Maurice Agnelet et son fils Guillaume pour le second et enfin pour le dernier, le récit du troisième procès. À un moment les titres des trois épisodes étaient : Agnès, Fils et père, Deux frères.

Ne pas utiliser de voix off a été parfois un défi pour le montage : même avec des interviews menés clairement, thème par thème, il arrivait que l’on ait du mal à raconter clairement certains moments de l’affaire, surtout les démêlés judiciaires de Maurice qui sont très compliquées. Quelques mots de voix-​off auraient sans nul doute facilité la com­pré­hen­sion. C’est d’ailleurs ce que nous ont dit les repré­sen­tants d’Arte, lorsqu’ils sont venus au montage. Mais avec une voix off, on entrait dans une autre logique de film, ce n’était plus le même projet. Ça nous a pris du temps mais on a réussi à raconter cette affaire dans sa complexité sans voix off.

Une autre difficulté, le manque d’archives parfois. Pour Françoise Lausseure, la maîtresse de Maurice Agnelet, devenue sa femme par la suite, on n’avait qu’une seule photo et pas d’interview… elle ne voulait pas apparaître dans le film. C’était pourtant un personnage clé, c’est elle qui avait fourni dans un premier temps l’alibi qui disculpait Maurice, avant de déclarer quelques années après, en 1999 qu’elle avait menti à la demande du même Maurice. C’est ce deuxième témoignage qui a déclenché l’ouverture du premier procès d’assises, on ne pouvait pas faire l’impasse. Là encore, avec du temps, on a réussi à ficeler le récit avec des bouts d’archives, des télés, etc.

De la même façon, la première épouse d’Agnelet, la mère de Guillaume et Thomas, très importante dans l’histoire, ne voulait ni apparaître, ni être interviewée. On a utilisé une photo d’elle jeune, ça on avait le droit, et un bout d’interview d’un des pro­ta­go­nistes pour la faire exister.

Pendant un moment, on a eu deux fins pour le film, une de trop ! Depuis le début, Rémi avait envisagé de faire dialoguer les deux fils de Maurice Agnelet, Thomas et Guillaume. Au moment des entretiens, Guillaume voulait se réconcilier avec son frère, ce qui n’était pas le souhait de Thomas. Ils ne se parlaient plus depuis longtemps. Dans ses échanges de mails avec Rémi, Guillaume en avait envoyé plusieurs spé­cia­le­ment adressés à Thomas que Rémi devait faire suivre… à Thomas. Avec l’accord des deux frères, Rémi a filmé Thomas lisant les mails que son frère lui avait adressés. C’était dans l’idée de mettre face à face la vérité de l’un et celle de l’autre. Le moment était fort et réussi.

Mais, en avançant dans le montage, on s’est aperçu que tous deux, dans les interviews, parlaient de leurs enfants. Thomas parlait du fait que la dis­cul­pa­tion de son père aurait été un soulagement pour son propre fils, pour qu’il ne reste pas le petit-​fils d’un assassin, lui-​même ayant souffert d’avoir été le fils d’un assassin. Guillaume lui évoquait plus sereinement sa fille qui vivait bien, disait-​il, sa filiation, elle considère que cette histoire ne la concerne pas. Cette fin-​là, plus intime, plus personnelle, permettait de montrer ce qu’il reste d’une telle histoire pour la descendance. C’est la fin que l’on a gardé.

Le troisième épisode interroge la crédibilité de la version donnée par Guillaume du meurtre d’Agnès, celle que sa mère lui avait rapporté quand il avait 14 ans. C’était très important de poser ces questions : Maurice Agnelet aurait fait du camping sauvage avec Agnès, alors qu’ils fré­quen­taient habi­tuel­le­ment des hôtels quatre étoiles ? Maurice Agnelet aurait tiré sur Agnès dans une tente en pleine nuit alors qu’il n’avait jamais tenu un révolver de sa vie ? Comment aurait-​il fait disparaître le corps et la Range Rover d’Agnès ? Dans l’émotion de la déposition de Guillaume, les juges et le jury y ont cru, tout comme on y croit peut-​être en regardant la série ! Le film reste ouvert.

Comment se sont passés les rapports avec le diffuseur, Arte ?

Arte a accepté de venir tard sur le montage. La chaîne a fait trois visionnages, ils nous ont demandé surtout d’accentuer le côté Riviera, l’ambiance fric et mafieuse de la ville de Nice, de mieux rendre le climat de cette époque des années 70.

L’habillage du film, avec ces lignes qui avancent et se croisent est très bien choisi, ça donne bien l’idée d’une figure qui se dessine peu à peu avec le temps. Est-​ce que vous avez, toi et Tania Goldenberg, été associées à ces choix ?

T.G. : Bien sûr, nous étions com­plè­te­ment associées à tous les niveaux. Rémi forme une famille de travail et ensuite chacun y participe. Nous avons tout fait ensemble jusqu’au mixage, à l’étalonnage…

L’idée de Rémi était de faire référence, par la couleur ou la police de caractère, à la célé­bris­sime Série Noire, éditée en livres de poche, mais il fallait la moderniser.
La production nous a mis en contact avec deux graphistes, Laura Rosand et Nejma Boussaid. Nous leur avons donné des pistes de travail, des références. J’aime beaucoup le travail de Saul Bass, qui a déjà exploré l’idée des lignes et je leur avais envoyé des exemples.

Pour la couleur, la typo, elles nous ont fait plusieurs pro­po­si­tions, pour le générique mais aussi pour l’habillage global, et nous avons aboutit à la version finale ?

Pour la musique, Rémi a une longue col­la­bo­ra­tion avec La Fugitive (Olivier « Bud » Bodin et Benoit Daniel), nous leur avions donné des pistes de morceaux ou d’instruments qui nous plaisaient et qui coloraient bien l’idée que nous nous faisions de l’ambiance du film. Et puis nous souhaitions une identité musicale forte qu’on puisse reconnaître à chaque épisode et qui bien sûr allait se décliner au fur et à mesure.

Le travail graphique et la musique aident à lier les épisodes et à guider émo­tion­nel­le­ment le spectateur. Mais aussi à créer du suspense, de l’attente, des inter­ro­ga­tions ou des moments suspendus ou nos­tal­giques.

Propos recueillis par Sonia Bogdanosky
 

« Tant qu’ils ne retrouvent pas le corps »

Réalisation : Rémi Lainé
Montage : Tania Goldenberg (LMA) et Josiane Zardoya (LMA)
Assistant réalisation et son : Matthieu Asano
Mixage : Olivier Do Huu
Musique : La Fugitive

Série docu­men­taire en 3 épisodes diffusée sur Arte le 26 septembre 2023 puis en replay sur arte​.tv