Quelques moments clefs de la soirée et de sa préparation, en mots et en images
Le 24 septembre, par une belle soirée de fin d’été, nous fêtions nos 10 ans. Au programme la projection d’un film surprise, une exposition de photos, des entretiens filmés en vue de « Brèves de montage », une video DJ, un buffet, un bal… C’était drôlement bien.
En voici quelques traces : le collage de textes lu au cours de la soirée et que nous avions monté à partir d’extraits de nos publications et une vidéo.
Montage de propos de Robin Campillo, chef monteur ; un diffuseur ; Claire Le Villain, assistante monteuse ; Juliane Lorenz, chef monteuse ; Marie-José Mondzain, philosophe ; Anita Perez, chef monteuse ; un producteur ; Sylvain Roumette, réalisateur ; Louise Surprenant, chef monteuse ; et de quelques monteurs anonymes
« Alors nous on travaille à se faire oublier, on travaille à être invisible, on travaille à ce que ça ne se remarque pas, parce que, si quelqu’un dit : “c’est un bon montage” en fin de compte j’ai raté mon coup. C’est le film qui doit être bon, ce n’est pas le montage qui doit être bon. Et je pense que c’est comme ça pour tous les métiers dans le cinéma, c’est une oeuvre collective. »
« Les préoccupations de chacun d’entre nous, face aux mutations vécues dans nos pratiques professionnelles, nous ont amenées à nous regrouper pour penser collectivement notre métier. »
« Parce qu’on sait bien qu’au montage il y a des moments où il faut s’arrêter de monter, prendre un temps et puis revenir voir ce que ça donne. On n’est pas là en train de faire des raccords, il faut arrêter avec ça. »
« Dans son rôle d’accompagnateur du film, le monteur est tout à la fois celui qui pousse et celui qui retient, celui qui encourage et celui qui remet en question, celui qui protège et celui qui met à nu, celui qui doit s’approprier le film tout en sachant que c’est le film d’un autre. »
« Pour rester sur le terrain analytique, le monteur c’est un peu le surmoi, c’est lui qui assume ce rôle-là, apparemment. »
« La dimension conflictuelle entre le réalisateur et le monteur est un élément constituant dans la création cinématographique. Il n’y a pas que complicité, il n’y a pas que continuité, réalisation, je pense que le réalisateur est d’autant plus satisfait de son monteur que celui-ci a précisément été en mesure de couper, d’enlever, de défaire, de décomposer, de produire de la discontinuité, là où lui forcément commence tout d’abord, comme tout romancier, comme tout créateur, par être le complice de son objet fantasmé comme totalité. »
« Comment fait-on pour savoir que c’est le bon plan ? Ils ont tourné, alors ça c’était génial, douze heures d’éléphants, c’est lequel de ces éléphants qu’il ne faut pas laisser dans le chutier ? Le two shots de l’éléphant qui se met sous la pluie ? Le two shots de l’éléphant qui se met du sable ? (…) Aujourd’hui, comment peut-on faire pour qu’il ne reste pas un seul bon plan dans le chutier quand il faut se farcir deux cents heures pour monter un film de 54 minutes ? »
Un diffuseur : « Il y a une expression que nous employons très souvent entre nous : “aider le réalisateur à faire le deuil”. C’est vrai, c’est ce que nous attendons du monteur. »
« Autrement dit, le montage est une opération de mise en activité du regard auquel on s’adresse. Il s’agit de mettre en activité un regard qui reste mobile, non assigné à résidence et disposant de sa pleine capacité de penser, de juger. Le métier de monteur se trouve donc dans la situation d’une profession politique puisqu’il s’agit bien de proposer au spectateur les conditions de son émancipation, de lui permettre d’en disposer librement. »
« En Allemagne, le mot pour montage est Schnitt : coupe, ce que je trouve idiot, et le monteur est cutter : coupeur, pour moi c’est ridicule et ça n’est pas juste. C’est moi qui ai commencé à employer l’appellation montage [sur les génériques]. À l’époque mes collègues ont pensé que j’étais folle, que je faisais ça parce que j’étais une vedette et que je voulais me démarquer des autres. Et maintenant, il y en a beaucoup qui utilisent ce mot. Je pense que montage c’est comme editing, un travail créatif… de construction. »
« Comme tout langage, comme toute culture et comme tout savoir faire, le montage est en constante évolution. La manière de construire un récit, le rythme, le rapport au son et à l’image, les outils de montage ne sont plus les mêmes qu’il y a 10, 20 ou 30 ans. L’enjeu de la transmission n’est pas de croire qu’il existe des modèles immuables mais de créer des repères capables d’accompagner ces évolutions. »
« Un chef monteur a besoin de dialoguer avec quelqu’un qui a un peu de recul, qui n’est pas autant impliqué que lui-même et le réalisateur dans la fabrication du film. Cela ne peut pas être quelqu’un de la production, cela doit être quelqu’un qui a le même langage que le chef monteur. Je pense que c’est comme cela qu’on se forme au métier : en faisant son travail d’assistant et en regardant le film en train de se faire. »
Un producteur : « Allez discuter avec M6 en leur disant : “Vous vous rendez compte il y a une rupture de la transmission du savoir”. Mais les mecs, ils vous rient au nez. La transmission du savoir ! Mais s’ils pouvaient déléguer ça en Corée ils le feraient ! Soyons clairs. C’est vrai que nous sommes dans un marché où on subit une violence économique terrible. »
« D’être là durant toute l’élaboration artistique du film, de l’avoir vu se construire et puis naître, m’a fait prendre conscience que le temps et la durée étaient intrinsèques au montage. Le temps de regarder les rushes à vitesse normale, le temps de la réflexion, le temps de se tromper, le temps de construire, de défaire, le temps des projections, etc. Mais ce que j’ai appris n’est pas forcément de l’ordre du quantifiable, du visible. »
« Le travail du monteur c’est non seulement de prendre le temps, mais c’est de prendre le temps d’en donner. Et d’en donner à qui ? À celui à qui l’on s’adresse. Donc ce cadeau du temps, cette temporalité offerte qui est d’ailleurs, qu’on ne peut s’entretenir avec l’autre qu’à condition de lui donner du temps, de laisser le temps passer, et de cesser dans l’entretien qu’on a avec l’autre d’imaginer que l’on perd son temps, ou que le temps est perdu. Il s’agit de cesser de croire que le don de temps est une perte d’argent, ou que la perte de temps est une perte en efficacité immédiate, ce qui revient au même dans les industries audiovisuelles. Donc « perdre » du temps c’est donner du temps. (…) Ainsi le montage est une offre de surabondance et de confiance, de promesses faites à celui à qui l’on s’adresse. »
Merci encore à tous les participants !