Débat autour du film « Le Cauchemar de Darwin »

Infos

Le groupe qui organise la soirée du 17 juin à la Fémis demande des volontaires sup­plé­men­taires pour les aider l’après-midi pour préparer la salle.

Rappel de la soirée Hommage à Hélène Viard qui aura lieu le 23 juin et pendant laquelle des extraits du film qu’elle a réalisé et de quelques autres films qu’elle a monté seront projetés. Début de la soirée à 19 h 45, projection suivi d’un verre.

Le Manifeste inter-​associations concernant les stages conven­tion­nés est soutenu par de nouvelles asso­cia­tions notamment les cadreurs (AFCF), les régisseurs (AFR) et l’ARDA (res­pon­sables de dis­tri­bu­tion artistique).

Concernant les inter­mit­tents, la proposition de loi PPL est toujours soutenue par 470 par­le­men­taires et un communiqué signé par l’AFC, AFCF, LSA et LMA a été remis à M. Jean-​Louis Debré pour que le vote de cette loi soit mis à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale pro­chai­ne­ment.

Une adhérente qui avait été malmenée lors d’un montage en début d’année n’a pas obtenu gain de cause en référé auprès des prud’hommes qui se sont déclarés incom­pé­tents sur la plupart des points. Elle doit engager une procédure sur le fond, mais on peut noter de bonnes nouvelles quand même : le CNC ayant été très réceptif à son récit et choqué par de tels agissements a gelé le fonds de soutien du producteur et pour l’instant celui-​ci lui a remboursé sur factures la totalité de ses frais de repas. Elle a été radiée des Assedics mais remercie cha­leu­reu­se­ment ceux qui connaissant sa situation difficile lui ont fourni du travail (notamment parmi Les Monteurs associés).

L’atelier de veille tech­no­lo­gique HD nou­vel­le­ment créé cherche un nombre plus conséquent de personnes par­ti­ci­pantes. N’hésitez pas à faire part de vos expériences à Jean-​Pierre Bloc.

Rencontre avec Denise Vindevogel et Hubert Sauper, monteuse et réalisateur du docu­men­taire « Le cauchemar de Darwin »

Nous avons commencé par demander à Denise Vindevogel de nous parler de la situation du cinéma et en particulier du montage en Belgique. La production est moindre qu’en France et les monteurs moins nombreux. Ils se connaissent par petits groupes. Dans les années 60, les premiers pro­fes­sion­nels sortant des écoles belges étaient toujours des tra­vailleurs indé­pen­dants. Une mobi­li­sa­tion a eu lieu dans les années 70 pour obtenir le statut de salarié. D.V. a participé à une tentative de création d’association de monteurs au moment de l’arrivée de la vidéo mais celle-​ci a très vite pris fin en raison d’un désaccord majeur concernant les conditions d’admission (certains voulaient des conditions très dures et d’autres une large ouverture à tous les profils et niveaux d’expérience). La Belgique a longtemps profité de la délo­ca­li­sa­tion de films français grâce aux subventions et à leurs tarifs inférieurs aux nôtres. Mais les producteurs français ont fini par trouver encore moins cher ailleurs, en Europe de l’est et les régions françaises ont augmenté leurs aides pour faire revenir les tournages sur le territoire. Les Palmes d’or obtenues ne font pas augmenter le nombre de projets produits.

Ensuite D.V. a parlé de son expérience sur Le Cauchemar de Darwin. Ce film lui a donné l’occasion de faire de nombreux débats. C’est à ce moment là qu’Hubert Sauper est arrivé ! H.S. nous a expliqué qu’une des par­ti­cu­la­ri­tés de ce film a été dans l’alternance de périodes de tournage et de montage. C’était la première fois qu’ils tra­vaillaient ensemble avec Denise. Au fur et à mesure ils faisaient des listes de choses à développer, par exemple des personnages. De nombreux groupes de personnages ne sont pas dans le film, alors qu’ils sont dans les 200 heures de rushes. Les scien­ti­fiques par exemple devaient être toute une tranche du film mais Denise a très vite senti qu’ils n’avaient pas leur place. Hubert Sauper précise qu’il a besoin d’aller au bout d’une séquence pour être sûr qu’elle ne peut pas être dans le film et que sans D.V. il serait encore en montage.

Quatre tournages ont été fait, et c’est seulement après le troisème que D.V. et H.S. ont cherché la structure du film. En un mois de travail celle-​ci était à peu près en place. Le quatrième tournage a servi à affiner.

Certaines séquences ont été scindées car plusieurs idées étaient développées au cours d’un même entretien. Par exemple le gardien de nuit Raphaël se trouve à plusieurs moments car il parle d’abord de son quotidien puis de sa vision de la guerre. Et d’ailleurs H.S. l’a filmé toute une nuit donc ces deux moments nous paraissent appartenir a un même espace-​temps mais en réalité ont été tournés à 12 heures d’écart, ce n’était donc pas du tout la même énergie non plus. Parfois il laissait Raphaël le filmer pour faire disparaître toute peur de la caméra qui se sentirait forcément à l’image.

Sur place il cherche une relation profonde avec les personnes qu’il filme. En réponse à la question « Pourquoi avoir filmé le gardien de profil car cela le rend très animal ? » H.S. a répondu que Raphaël travaillait, que ce n’était pas un effet de dra­ma­ti­sa­tion voulu mais que s’il s’était placé face à lui celui-​ci se serait auto­ma­ti­que­ment tourné pour continuer à surveiller… Raphaël était au bout d’un moment son meilleur pote là-​bas et en plus il parlait anglais et avait un grand charisme donc il l’accompagnait tout le long du tournage.

Le plus gros du travail était de trouver qui filmer, comment se présenter, sentir les moments où filmer ou non. Souvent il a déjà vécu les mêmes situations dans d’autres contextes et sait donc ce qu’il veut enregistrer comme image. Pour D.V. et H.S. le film est construit par personnages, ce sont les personnages qui nous parlent de leur vie et en accumulant de petites touches cela crée un univers dans lequel des thèmes récurrents se dessinent et nous emmènent à chaque fois plus loin dans la réflexion, de plus en plus loin dans la gravité du sujet.

Quelqu’un a demandé si les pilotes avaient été filmés au prmeir tournage. H.S. avait pré­cé­dem­ment fait de nombreux trajets dans ces avions avec d’autres pilotes et avec le temps ils lui avaient montré les armes. Avec le groupe choisi il a toujours transporté du poisson mais jamais de munitions. Les livraisons se font aussi dans d’autres villes que Mwanza. D’autre part il a précisé que le terme armes ne se limitait pas pour lui à des fusils et des munitions mais que même un ordinateur pouvait être destiné aux chefs qui préparent leurs attaques. Il est devenu très ami avec les pilotes et cela l’a même fait douter car des gens aussi sym­pa­thiques peuvent-​ils transporter des armes ? La volonté de faire ressentir ce doute a participé à son choix de ne pas montrer d’images des armes dans le film. C’est le pilote qui finit par nous dire qu’il en transporte.

H.S. revendique son point de vue particulier de cinéaste et non de journaliste. Il a choisit Mwanza pour démontrer avec des liens simples une logique de déve­lop­pe­ment mondial, les consé­quences de la création d’une grosse entreprise destinée à l’exportation qui attirent de nouvelles populations dans une région (un peu comme une mine d’or). Il sait que d’autres n’ont pas le même point de vue par rapport à cette usine de poisson, comme par exemple l’industriel à qui elle appartient. Lui a filmé sans forcément concep­tua­li­ser chaque scène au moment du tournage mais a approfondi les sujets qui le touchait et lui paraissait importants. H.S. a beaucoup raconté ce qu’il ressentait à D.V. sans forcément lui montrer les images tournées pour parler en terme de ressenti, de vécu et arriver à le traduire dans le film.

L’image du pilote qui dit « Sawa, ça va » n’a pas été tournée par H.S. mais par un des pilotes un soir où ils étaient tous saouls et il trouve que c’est le meilleur plan du film. La prmeière scène dans le bar avec les pilotes et les prostituées a été tournée lors de repérages. Elle sert aussi à introduire le personnage d’Elisabeth, la prostituée qui chante « Tanzania ». Il nous rappelle la pluralité de sens que peuvent prendre les images avec l’exemple de la séquence des guêpes tuées dans la tour de contrôle : cette séquence se trouve dans l’introduction mais n’est pas le sujet du film. Cette scène est un concentré de tout ce qui s’est passé d’intéressant dans la tour de contrôle en une semaine ! Evidemment D.V. n’a pas vu la totalité des rushes tournés dans ce lieu et H.S. se dit rassuré que personne ne voie une grande partie des rushes (banalités et temps morts avant que quelque chose de fort ne finisse par arriver).

H.S. avait écrit un scénario, et le film fini lui est assez fidèle. L’idée de départ lui est venue un jour sur le tarmac en 1997 alors que 2 avions se croisaient, l’un emportant la perche du Nil en Europe, l’autre apportant de l’aide humanitaire en Afrique.

Face à l’attaque qui lui a été faite de montrer une image catas­tro­phique de Mwanza alors que cette ville a d’autres aspects plus positifs, H.S. répond qu’effectivement si on vient en touriste à Mwanza on va sûrement passer à côté de cette réalité, qu’il l’a cherchée, mais qu’elle existe et que si d’autres veulent porter un autre regard rien ne les en empêche. Il faut se mettre dans un état de curiosité et d’attention pour découvrir les aspects plus cachés d’une réalité. Il considère que les spectateurs ne sont pas bêtes, que le cinéma fonctionne sur le non-​dit et l’imaginaire. Le cinéma n’a pas à apporter des preuves, d’autres métiers sont là pour ça. Le cinéma doit faire ressentir et non uniquement donner des infor­ma­tions. Le film n’est pas un récit scien­ti­fique. Il y a 50 secondes de film scien­ti­fique dans le film, c’est la conférence inter­na­tio­nale. Le film a été vu dans 50 pays et la polémique concernant la véracité des infor­ma­tions n’a lieu qu’en France !

Anecdote : lors de la sortie du film en Belgique une usine de munitions était prête à être installée à Mwanza par cette même Belgique et le projet ne s’est pas fait.

Il a confirmé ne pas mentir sur le fait que les têtes de poissons sont destinées à la consom­ma­tion humaine. Une séquence du film est à l’opposé de cette idée de suggérer sans montrer, c’est la scène où les enfants se droguent avec de la colle. « C’est de la monstration alors que le spectateur a déjà compris ce qu’ils font » suggère un membre de l’association. H.S. nous dit ne pas chercher l’image-choc. Il a filmé cette scène et beaucoup d’autres beaucoup plus violentes (par exemple dans son précédent film sur le Rwanda : Kisangani diary) et ressent le besoin de partager cette souffrance vécue, il se sentirait coupable de ne pas la montrer alors qu’elle existe. Pour lui elle est très humaine et intimiste. Il est d’accord sur le fait que plusieurs genres de séquence coexistent dans son film. Ce qui l’intéresse en Afrique c’est la trans­pa­rence de fonc­tion­ne­ment qu’on ne voit plus en France par exemple. Il s’intéresse à l’être humain, et en Afrique il est plus visible qu’ailleurs.

Quelle a été votre relation monteur-​réalisateur ? Elle n’a pas été sanglante ! H.S. et D.V. ont cherché coûte que coûte a éviter l’exposé jour­na­lis­tique, mais il n’était pas évident au départ que du sens sorte de tout ça. Il y a des aspects entiers du film qui étaient importants pour H.S. qui ne l’étaient pas pour D.V. (les scien­ti­fiques sur le lac). Les employés de l’usine ne sont pas vus dans leur quotidien. Ils sont employés en fonction des arrivages de poisson.

Un monteur a demandé à H.S. d’expliquer la distance à laquelle il se situe de son sujet dans eux séquences par­ti­cu­liè­re­ment déran­geantes : lorsque le réalisateur intervient de façon très claire en montrant la vidéo d’Elisabeth (la prostituée) qui chante à ses amies au moment où celle-​ci a été tuée, et celle où Raphaël le gardien parle de ce que représente pour lui le fait de tuer quelqu’un. H.S. est satisfait que ces séquences soient violentes pour nous. Un film, c’est bien aussi si ça gêne. Vivre ces scènes était violent aussi pour lui. Et puis les com­por­te­ments font partie de la culture qui n’est pas la même pour tous. Le fond de son travail c’est de partager ses émotions pour ne pas être submergé par la souffrance, ne pas être seul avec la douleur. Lorsque H.S. a appris la mort d’une prostituée, il s’est servi des rushes pour être sûr que les gens lui parlaient bien de cette personne-​là. Il a ensuite pensé à recons­ti­tuer une scène similaire à celle qui a eu lieu natu­rel­le­ment. C’était important de parler de la mort de cette femme et d’en faire ressentir la douleur. Un carton aurait été très plat. À ce propos Arte a modifié le film sans en informer le réalisateur alors qu’ils lui ont demandé de présenter son film lors de la première diffusion. (Ironie de l’histoire, le film avait obtenu le prix Arte.) La chaîne a refait tout le sous-​titrage avec ses propres traducteurs et a par la même occasion supprimé quelques sous-​titres cor­res­pon­dant à un dialecte tanzanien (le réalisateur les avaient fait traduire sur place.) La chaîne a également remplacé les cartons par une voice-​over, même à ce moment très délicat de la mort d’Elisabeth.

Cela a soulevé la question du droit au final cut. Avant le monteur vérifiait la copie zéro, maintenant qui vérifie le PAD et même le master DVD ? Pour H.S. le sous-​titrage fait partie intégrante de la création du film, son calage est très précis. Arte a répondu à H.S. qu’ils faisaient de la télévision (sous-​entendu pour que tout le monde comprenne). Le film, lui, a toujours été fait dans la perspective d’une exploi­ta­tion en salle. La télé c’est le recyclage. Arte avait refusé deux fois le projet avant que la partie allemande de la chaine ne l’accepte. H.S. a interdit toute rediffusion pour l’instant. Il est en guerre contre Arte. Il explique être fatigué de devoir se battre sur tous les fronts (TV, lobby import-​export, polémique, gou­ver­ne­ment tanzanien, producteur). Il a d’ailleurs reçu plusieurs menaces.

Le film a rapporté beaucoup mais H.S. et D.V. n’en ont pas perçu grand-​chose. Le film appartient lui aussi à une machine. 

« Les pilotes ont-​ils vu le film ? » H.S. leur a montré mais explique qu’ils n’ont rien appris de nouveau en le voyant et ne l’ont pas mal pris. Il s’était posé la question de la possibilité que le film fasse perdre leur emploi aux pilotes. Leur propos peut-​il se retourner contre eux ? La question de la res­pon­sa­bi­lité indi­vi­duelle est présente tout au long du film et donc H.S. prend le risque que les pilotes se retrouvent au chômage. Il en a parlé avec eux. Le créateur d’une image n’est pas responsable des détour­ne­ments possibles de l’image. Dans ses contrats H.S. précise quand même que certaines images bien définies ne pourront jamais être utilisées en dehors du film.

H.S. a expliqué aussi son profond désaccord avec la campagne d’annonce faite par Arte pour le film : « Vous ne mangerez plus jamais de la perche du Nil ». Il a réussi à faire retirer l’ensemble des affiches fabriquées pour la com­mu­ni­ca­tion autour du film. Cette phrase est à l’inverse de son point de vue. Pour lui elle était réductrice et bête, alors que son propos parle de la complexité de la glo­ba­li­sa­tion des échanges et des relations humaines.

Concernant l’objectivité des images il a évoqué sa soirée aux Oscars : après chaque blague politique un plan d’écoute sur une personne black ou maghrébine est montrée pour faire croire à une salle métissée. Ces plans portent un nom : la « négrocam ».

Si vous souhaitez en savoir plus vous pouvez écouter une interview de France Inter faite avec Jean-​Luc Porquet (Le Canard enchainé) et François Garçon.

Interview en bonus sur le dvd, et bien d’autres articles bien sûr…

Prochaine réunion : le mercredi 5 Juillet 2006, à 20 heures à la cafétéria de la Fémis.