Monter chez soi, est-​ce un choix ?

Nous étions une petite cin­quan­taine, beaucoup de jeunes, adhérents ou non.
Nous avons commencé par un point sur la convention collective du cinéma, qui ne sera pas développé ici. Malgré l’agitation qui règne autour de cette question, elle n’a pas suscité de questions de la part des présents qui étaient venus pour débattre du thème de la soirée, et ce, malgré plusieurs relances.

Ensuite nous sommes rentrés dans le vif du sujet ; voici un peu en vrac les avis et réflexions entendus pendant la réunion.

Un monteur-​réalisateur qui travaille parfois chez lui, parfois dans des productions ou chez des pres­ta­taires explique que quand il travaille à la maison c’est souvent pour des projets atypiques : des vidéos pour des spectacles ou des films ins­ti­tu­tion­nels. Pour être salarié dans ces cas-​là, il se fait payer par une société de portage : cette société reçoit une somme globale de la part du « producteur » (en l’occurrence une compagnie de théâtre ou une société) et avec cette somme la société de portage paye ce monteur-​réalisateur en tant que salarié inter­mit­tent en prélevant la part patronale qu’elle versera à l’Urssaf. La société de portage se paye 40 € par fiche de paye quelque soit la durée de l’engagement. Il ne fait pas payer sa salle de montage qui est dans son salon et sa compagne a fini par adopter l’usage des boules Quiès…

Un monteur se fait payer sa salle de montage entre 75 € et 150 €/​jour (d’autres plutôt 50 €). Il se fait payer au travers d’une association qu’il a créée mais il ne peut pas se payer avec, il peut seulement investir dans du matériel. D’autres se font payer en remplissant un formulaire de « mise à disposition » de leur matériel.

Une monteuse qui a travaillé chez elle sur un 52 minutes avec le statut d’auto-entrepreneur : « ça a été horrible avec mon ami ! » Elle a été payée 235 €/​jour mais ça ne lui ouvre ni droits sociaux, ni heures comp­ta­bi­li­sées par Pôle emploi, ni Congés spectacles.

Un jeune monteur handicapé, ayant fait l’École des Gobelins, monte chez lui à cause de son handicap. Il démarche sur Facebook ou sur le site cinéastes.org. Il a monté deux films et les réa­li­sa­teurs sont partis avec leurs films sous le bras mais n’avaient pas de poches : ils sont partis sans le payer. Plusieurs personnes présentes se proposent de l’aider. Et on lui conseille aussi de ne pas donner le film sous une forme online sans être payé au préalable. Quelqu’un dit : « Dans ces cas la probabilité de tomber sur des salopards est énorme. »

Une monteuse ayant vécu jusqu’à il y a peu en Espagne nous explique qu’elle a travaillé là-​bas chez elle pour un long-​métrage avec un contrat de par­ti­ci­pa­tion. Le film n’étant jamais sorti, elle n’a jamais été payée.

Une jeune assistante se plaint de devoir aller chez le réalisateur-​monteur de 20 heures à minuit, après que celui-​ci ait fini sa journée de travail, mais elle préfère encore se rendre chez lui que de devoir travailler chez elle. Cela pose la question de la place de l’assistant quand on monte entre le bureau et le lit !

Un autre monteur travaille chez lui pour des sites internet. Certains com­man­di­taires ne savent pas qu’il existe des salles de montage. Pour eux, c’est un travail qui s’apparente d’une certaine manière à celui des pho­to­graphes de mariage. 

Et puis, entre autres remarques : « Il faut faire attention à la sortie du salariat ! » « On risque de passer pour des monteurs low-​cost. » « Ces pratiques s’étendent depuis qu’on tourne en numérique, qu’il n’y a plus de cassettes mais des fichiers. » « Il y a maintenant des logiciels pour contrôler à distance les ordinateurs (ainsi un
assistant peut par exemple réaliser les exports d’une séquence sans se déplacer) comme TeamViewer. »

Certains trouvent que travailler chez soi les déconcentre. Faire un trajet, changer de décor, leur permet de mieux se concentrer sur leur travail. « Il faut faire attention qu’il ne nous arrive pas la même chose qu’aux techniciens des effets spéciaux à qui on propose maintenant de travailler chez eux en sous-​traitance payés 100 €/​jour, au forfait et au noir, sur leur propre matériel. »

Même si certains apprécient de travailler à la maison, la pratique du montage « chez soi » n’est pas, dans la majorité des cas décrits, le fruit d’un choix. Il semble que ce mode d’activité : travail à la maison, montage « clés en main » sans col­la­bo­ra­tion avec un réalisateur, commandes de la part d’institutions, de compagnies théâtrales, diffusion sur internet, etc., avec un statut pro­fes­sion­nel plus ou moins en marge du salariat… soit un avant-​goût de ce qui se profile pour une grande partie de notre métier si nous n’y prêtons pas garde. Une feuille a circulé parmi les présents pour constituer un atelier de réflexion sur ce sujet.

Bref, une réunion pas­sion­nante à renouveler !