Cette réunion préparée par l’atelier VHSS, était animée par Julia Danel et Charlotte Tourrès, en présence de deux invités : Didier Carton, délégué CCHSCT de la production cinématographique et Sophie Lainé-Diodovic, directrice de casting, membre du collectif 50/50 et du groupe de travail sur les VHSS du Spiac-CGT.
Il y avait une petite trentaine de personnes dans l’assistance. Nos invités ont apporté beaucoup d’informations, répondant aux questions des modératrices et du public de manière précise et complète. L’ambiance était très concentrée.
On commence par rappeler une évidence : les VHSS entrent dans le champ de la santé au travail. Parmi les risques psychosociaux (tout ce qui génère du stress, des violences internes ou externes), les CCHSCT cinéma et audiovisuel ont une loupe particulière sur les VHSS.
Autre préalable : le contrat de travail induit une subordination à l’employeur ainsi que l’obligation, pour ce dernier, d’assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Quelques éclaircissements et définitions sur ce que recouvrent les VHSS
Le harcèlement sexuel est défini par le code du travail, qui reprend les termes du code pénal. À noter que l’on se place du point de vue de la victime pour apprécier si oui ou non le harcèlement est caractérisé (« c’était de l’humour » n’est pas une excuse si la victime s’estime atteinte dans sa dignité).
Le harcèlement sexuel se caractérise par la répétition, mais pas exclusivement. Il y a des cas assimilés à du harcèlement dès la première occurrence, lorsqu’il y a « pression grave en vue d’obtenir un acte de nature sexuelle » (exemple : « si vous voulez une augmentation, il va falloir coucher avec moi »). Il peut également s’étendre à plusieurs personnes si elles se concertent pour s’en prendre à la victime tour à tour, même s’il n’y a pas répétition individuelle. Ou bien sans concertation s’ils savent qu’il y a répétition, ce qu’on peut assimiler à du harcèlement d’ambiance (exemple : des femmes nues comme écrans de veille sur les lieux de travail, des blagues graveleuses systématiques à la machine à café…).
L’agissement sexiste est le fait d’imposer tout comportement à connotation sexiste ou sexuel (exemple : propos à connotation sexiste ou sexuelle, imposer des visuels dégradants, etc.). Il peut être assimilé à du harcèlement sexuel en cas de répétition.
Les agressions sexuelles ne sont pas définies dans le code du travail, mais dans le code pénal. Elles concernent tous les contacts à caractère sexuel, c’est-à-dire s’il y a contact avec une partie sexualisée du corps (la jurisprudence en retient cinq à ce jour : la bouche, les seins, les fesses, l’entrecuisse et le sexe). En cas de pénétration, quelle qu’elle soit, c’est un viol.
La notion de consentement, c’est entendu, est primordiale.
Au travail, il y a souvent des signaux faibles, pas nécessairement sexistes ou sexuels (remontrances sévères et répétées, consommation d’alcool ou de stupéfiants, fatigue et irritation…), qui peuvent glisser vers l’agissement sexiste, puis vers le harcèlement sexuel voire l’agression. L’idéal est de faire cesser la source de ces agissements au plus tôt, pour ne pas laisser s’installer un climat propice à ce glissement.
Les facteurs de risque
L’employeur a pour obligation d’évaluer les risques. On connaît la liste des facteurs qui favorisent l’émergence de VHSS et les monteurs et monteuses, assistant·es et stagiaires peuvent en cumuler de nombreux :
- la précarité (intermittence, peur du blacklistage…) ;
- l’âge (être jeune) ;
- le genre (être une femme) ;
- l’isolement social ;
- la confrontation à l’usage de produits désinhibants et psychotiques (drogue et alcool, considérés en cas de VHSS comme des facteurs aggravants et certainement pas comme une excuse) ;
- le travail en binôme et isolé ;
- le travail de nuit ;
- les situations d’emprise, liées à des personnes d’influence ou de renom, à l’attachement pour le film…
Prévenir, faire cesser, sanctionner
Le code du travail, en matière de VHSS, donne trois obligations aux employeurs : prévenir, faire cesser, sanctionner. Cet impératif de sanction n’existe pas ailleurs dans le code du travail, il est spécifique au harcèlement sexuel.
Le CNC a mis en place une sensibilisation particulière à l’égard des productions pour leur rappeler leur responsabilité d’employeurs. Il faut dire que certains producteurs — qui aiment se considérer plutôt comme des « collaborateurs » — ont du mal à se rendre compte qu’ils sont aussi… des patrons.
Pour les techniciens, en plus des formations déjà existantes, gratuites et prioritaires, le CNC et l’AFDAS sont en train de mettre en place une formation obligatoire en deux modules de 2 h 30, l’un théorique et l’autre pratique, avec pour objectif (un brin illusoire) de former tout le monde en deux ans. Les contours et les modalités de cette formation sont encore flous (et ne semblent pas, en l’état, adaptés aux métiers de l’après-tournage…). Toujours est-il que la formation est un moyen de mieux se protéger et de faire de la prévention, notamment en apprenant à nommer les choses et à savoir les caractériser. Les chiffres montrent qu’on a tendance à minimiser les VHSS, notamment dans notre façon d’en parler (un « dragueur lourd » n’existe pas dans la loi).
Les chefs de poste, d’après la convention collective de la production cinématographique, ont la charge de veiller dans l’exercice de ses fonctions au respect des règles d’hygiène et sécurité en vigueur. S’ils sont témoins ou sont saisis de faits pouvant s’apparenter à des VHSS, il doivent donc les faire remonter à l’employeur (qui, lui, a l’obligation d’y mettre un terme et de conduire une enquête pour caractériser les faits).
Dans tous les cas, il faut intervenir le plus tôt possible, ne pas laisser filer les signaux faibles, et formaliser le processus en passant par l’écrit (un mail par exemple). Les écrits permettent de retracer les événements, de se protéger et de donner de l’importance au signalement : les enjeux sont trop sérieux pour se régler à l’oral, « entre collègues ».
Depuis quelques années, sur les plateaux principalement, on trouve des « référents harcèlement » désignés sur les feuilles de service. Il s’agit d’avoir une personne responsable du signalement des faits pouvant s’apparenter à des VHSS et d’être l’intermédiaire entre les salariés et l’employeur. La mission est ouverte à tous et toutes, mais requiert une formation spécifique et le volontariat.
La formation « être ambassadeur·rice référent·e » fait partie des formations gratuites et prioritaires proposées notamment par la CST mais aussi par d’autres organismes de formation. Elle se déroule en trois jours (deux jours puis un jour quelques semaines plus tard). Elle est très recommandable, car pour le moment, les personnes référentes sont souvent parachutées par la production (qui se pense obligée d’en désigner une) ou bien de bonne volonté mais sans formation. Il y a trop de personnes à qui on impose d’être référentes et trop peu de technicien·nes formé·es.
Cette formation, utile aussi pour sa culture générale, permet de reconnaître les schémas et l’escalade des violences. On sait que la sensibilisation des équipes peut empêcher une aggravation des faits. La présence de référents formés peut éviter beaucoup de choses. On peut espérer qu’ils arrivent souvent à stopper l’engrenage dès l’agissement sexiste.
Le référent a pour mission :
- le recueil de la parole (exercice qui s’apprend) ;
- la remontée du signalement à l’employeur ;
- la communication à la victime des ressources qui pourront l’aider (la cellule d’écoute Audiens, le 3919, les syndicats, le CCHSCT, la médecine du travail, etc.).
Le référent pourra aussi, en lien avec l’employeur, être associé à la prévention des VHSS (affichage, participation à l’information des salariés, communication sur la procédure de signalement…).
Concernant l’enquête que doit diligenter l’employeur, il n’est pas prévu que le référent y participe (le contenu de la formation à ce sujet est informatif et n’a pas vocation à lui permettre de maîtriser la méthodologie d’enquête). En revanche, il sera tenu informé des suites qui sont données au signalement pour lui permettre notamment de répondre aux interrogations que la victime pourrait lui adresser.
Cette mission, héritage dans notre secteur de Me Too, pose de nombreuses questions : Quid des référents non formés ? Quid des référents dans la ligne hiérarchique et susceptibles de conflits d’intérêt (direction de production, etc.) ? Quid du temps de délégation ? Quid de la protection des référents contre toute discrimination ?
Les syndicats, à commencer par le Spiac, se penchent en ce moment sur son inscription dans la convention collective (via un avenant) et réfléchissent à un meilleur encadrement, une meilleure protection et une possible indemnisation du référent (la mission étant bénévole). [Depuis notre réunion, l’avenant évoqué auquel s’ajoute celui sur le travail des enfants est venu préciser de nombreux points, notamment en ce qui concerne la désignation, les rôles, les moyens et protections du référent VHSS. NDLR]
Se pose également l’épineuse question de l’avant et de l’après-tournage. Puisqu’il faut être sous contrat pour être référent, difficile d’imaginer un référent de plateau le rester après la fin de son tournage. De même, un monteur référent ne peut l’être pratiquement que pour lui-même et son équipe (si l’on part du principe que les monteurs ne sont que très rarement engagés jusqu’à la fin du mixage).
Quoi qu’il en soit, on peut regretter que les producteurs ne soient pas toujours capables, comme la loi les y oblige pourtant, de rappeler clairement à leurs équipes ce qu’il ne faut pas faire. Pour parer à cela, il faut se convaincre de l’utilité qu’il y a à sortir de l’isolement. Il faut prendre conscience de nos droits et se savoir entourés (par nos pairs, les syndicats, les associations professionnelles, les CCHSCT, les référent·es, etc.).
Le CNC a également un vrai pouvoir sur la question des VHSS (via le fonds de soutien, les aides, etc.) et ils sont d’office mis dans la boucle. Il y a beaucoup de gens très impliqués et volontaires sur ces questions au CNC.
Puisque l’obligation de sanction disciplinaire est particulièrement difficile à mettre en place dans notre secteur (contrats courts, protection du droit d’auteur, enjeux financiers d’un tournage, etc.), on a toutes les raisons de miser sur la prévention !
Attention, la loi accorde deux mois à l’employeur pour prononcer une sanction… laissant potentiellement, dans notre secteur, le temps aux tournages de s’achever. Les producteurs peuvent être tentés de jouer la montre sur ce volet-là. Le harcèlement n’en est pas moins considéré par la jurisprudence comme une faute grave et peut mener au licenciement. De plus, la fin du tournage et des contrats ne remet pas en cause la nécessité de conduire l’enquête.
Le Spiac et les syndicats de producteurs souhaitent une externalisation systématique de l’enquête disciplinaire, en cas de signalement. Les résultats des enquêtes internes, jusqu’à présent, ne sont pas convenables (elles sont diligentées par des personnes dont ce n’est pas le métier et qui n’ont pas le temps, ça patauge, les interprétations sont mauvaises, etc.).
Le CCHSCT, en l’état, n’a pas le statut juridique qui lui permettrait d’assurer ces enquêtes mais cela pourrait évoluer (?). Ce serait intéressant car le CCHSCT est un organisme extérieur et paritaire (financé par une cotisation patronale gérée par les partenaires sociaux) donc moins soumis aux manipulations.
Il est important aussi de savoir mener à bien les enquêtes pour ne pas clouer au pilori quelqu’un sur un simple signalement.
Trois voies de recours existent en cas de harcèlement ou de violences sexuelles :
- pénal (victime vs harceleur/agresseur) ;
- disciplinaire (employeur vs harceleur/agresseur) ;
- civil (victime vs employeur, en général aux prud’hommes — la victime se retourne contre l’employeur au motif que, par exemple, ce dernier n’assure pas son devoir de protection).
Ces trois recours sont indépendants et non conditionnés (nul besoin d’une plainte de la victime pour que l’employeur déclenche la procédure disciplinaire et sanctionne la personne visée si les faits sont avérés).
Notons que le risque d’un film mort-né (entaché par une affaire de VHSS et dans l’impossibilité de bénéficier d’une sortie commerciale normale, quand bien même le tournage serait allé au bout) inquiète nombre de producteurs et de réalisateurs.
Progressivement, ceux qui abusent vont devoir se calmer. Avant, les VHSS étaient le problème des seules victimes. Maintenant, elles sont aussi le problème des productions.
Il faut continuer d’accompagner ce mouvement et trouver les bons dispositifs pour le secteur.
Par exemple en « aidant » les producteurs, qui dissimulent ou minimisent parfois les VHSS pour d’objectives questions financières. Aujourd’hui, les assurances fonctionnent mais seulement en cas de plainte au pénal et de signalement au procureur. On sait que le temps de la plainte ne peut être brusqué, or l’interruption d’un tournage doit pouvoir être décidée (donc assurée) rapidement. Il y a un levier à trouver du côté des assurances.
Me Too date d’il y a six ans seulement (et encore, par vagues successives dans le cinéma français), cela prendra du temps mais il y a déjà du progrès et les comportements commencent à changer.
Pour compléter notre débat autour des violences sexistes et sexuelles, voici les liens de ressources mentionnées que vous pouvez également retrouver en page Ressources.
Les formations financées par l’AFDAS pour devenir référent VHSS (ou simplement se sensibiliser), notamment celles de la CST.
Le kit de prévention édité par les CCHST.
Si vous avez été témoin ou victime d’agissement ou d’agression sexiste et sexuelle et que vous avez besoin d’en parler, voici les numéros utiles :
- la Cellule d’écoute d’Audiens (cellule d’écoute psychologique et d’accompagnement juridique) ;
- le 3919, violence femmes info ;
- le délégué du CCHSCT cinéma, en la personne de Didier Carton, présent à notre réunion : 06 35 30 71 00 ou Ghania Tabourga qui gère le domaine de l’audiovisuel : 06 16 61 29 97.
Vous pouvez aussi nous contacter à travers l’atelier VHSS.
Vous pouvez aussi joindre les syndicats (même si vous n’êtes pas syndiqué·es) : le Spiac-CGT (dont Sophie Lainé Diodovic présente à la réunion fait partie) : 01 42 00 48 49 ou le SNTPCT : 01 42 55 82 66.
Nous remercions encore très chaleureusement Didier Carton et Sophie Lainé-Diodovic d’avoir accepté notre invitation et d’avoir pris le temps de relire et compléter ce compte rendu.